The Island, aménagement intérieur du siège de Pernod Ricard, Paris. Agence Saguez & Partners.
En charge de l’aménagement intérieur du siège monde de Pernod Ricard, l’agence de design Saguez & Partners, fondée en 1998 par Olivier Saguez, a pris le parti de créer un lieu avec autant d’espaces que d’usages au travail. Une « architecture relationnelle », selon l’expression de Jean-Philippe Cordina, Directeur de création en charge du programme, qui tient compte à la fois de la dimension digitale et numérique dans les modes de consommation et de travail et du besoin accru de relations humaines, de contacts et de convivialité dans l’espace du bureau. L’aménagement a été élu « meilleur projet de bureau » lors des MIPIM Awards 2020, et a été récompensé dans la catégorie « medium corporate building » dans le cadre de la 15e édition des Best of Year Awards organisée par le magazine international de référence, Interior Design.
Si aucun des salariés, même la PDG Alexandre Ricard, n’a de bureau attitré, 2400 places assises ont été créées pour travailler autrement, dans des ambiances variées et une dizaine de « postures de travail différentes pour inciter les gens à bouger selon leurs besoins tout au long de la journée ». Tout est centré sur le confort et la convivialité, comme le rappelle Jean-Philippe Cordina : « Le bureau offre un design adapté et ergonomique qu’on n’a pas forcément chez soi, et des services efficaces comme la salle de sport, quatre restaurants, une game room ou encore une salle bien-être. » La fondation Pernod Ricard a également déménagé dans l’immeuble. Elle occupe le premier niveau où seront programmés de nombreux évènements artistiques, ouverts à tous gratuitement.
« Il a fallu préparer en amont les besoins, individuels et communs, pour les adapter à de nouvelles méthodes de travail et les traduire au sein de l’espace partagé. » Jean-Philippe Cordina, Directeur de création S&P
Comment est né le projet du siège Pernod Ricard et quel a été votre rôle ?
Nous avons accompagné Pernod Ricard dès le dépare de leur projet, dans la recherche d’un espace pour réunir les 900 collaborateurs qui travaillaient jusque-là sur des sites séparés. Il s’agit aussi, pour cette entreprise qui regroupe plusieurs marques de vins et de spiritueux, d’un profond changement dans leur management et leur organisation business. Il a donc fallu analyser en amont les besoins, individuels et communs, pour les adapter à de nouvelles méthodes de travail et les traduire au sein de l’espace partagé. Le bâtiment n’étant pas encore livré, nous avons discuté avec l’agence d’architecture Ferrier Marchetti er le groupe Pernod Ricard de l’a.ménagement des sept étages sur la thématique des îles de la Méditerranée, en référence à la culture du fondateur du groupe, Paul Ricard. C’est la raison pour laquelle le siège Pernod Ricard a été baptisé « The Island ». Son emplacement, assez exceptionnel, près de la gare Saint-Lazare, forme un véritable îlot. L’immeuble flotte sur la gare qui est un hub de mobilité. Tour en étant dans un quartier extrêmement vivant, il est à l’écart du tumulte. Dès que l’on franchit le parvis, une sérénité se dégage, et c’est cette atmosphère que nous avons voulu transmettre à l’intérieur a.fin d’y prodiguer de la concentration, des échanges, de la vie, etc. Les objectifs fixés avec le groupe consistaient à créer un bureau pour se rencontrer, travailler, avoir une vie sociale. Aujourd’hui, à l’ère du télétravail à outrance en lien avec la crise de la Covid-19, on se rend bien compte que les salariés ont besoin d’un lieu-bureau pour renforcer la collaboration, le lien et l’ appartenance à des équipes et créer de fait une identité de l’entreprise.
Aviez-vous un cahier des charges préétabli ?
Nous l’avons élaboré sur mesure durant les quatre années passées avec le commanditaire. C’est l’intérêt d’avoir un process suffisamment long. Il a fallu accompagner les multiples équipes qui sont passées en flex, trouver pour chacune d’elles des territoires. Nous sommes toujours dans les deux échelles, celle de l’identité propre à la marque et celle du groupe dans sa globalité. Toutes ces entités réunies permettent de créer de nouvelles synergies. Nous avons construit au fur et à mesure les solutions justes pour chacun en termes d’appropriation de ces modes de travail. Il y a des salles de silences, des équipements partagés par tous, des zones de services comme le coiffeur, et des territoires d’équipes avec des zones réservées pour certaines entités. Pernod Ricard était jusque-là une société décentralisée. Elle regroupe 17 marques fortes et indépendantes, il fallait y préserver l’agilité de chacun et donner le sentiment d’une seule et même équipe. Le principe a été de créer des lieux repérables et appropriables. Nous avons conçu 13 tisaneries, à l’image des criques des îles des Embiez, aux couleurs des principaux segments de marques pour constituer des points d’ancrage où chacun puisse jouir d’un confort d’habitudes dans un chez-soi plus grand.
Comment cela se traduit-il architecturalement ?
Il y a deux grandes circulations verticales : les escaliers et les ascenseurs. Nous avons traité graphiquement les cages d’escaliers avec de grandes fresques pour inciter les salariés à les emprunter plutôt que les ascenceurs. À chaque sortie des étages, nous retrouvons les zones de convivialité et de travail en ouverture. Il n’y a aucun bureau attitré. Le parti pris a été de ne pas cloisonner, d’utiliser au maximum la transparence pour jouir des vues sur la ville. Nous avons privilégié la lumière naturelle dans l’organisation des plateaux. Le dernier étage, le plus bel endroit du bâtiment, est un skybar à 360° sur tout Paris, un point de rencontre de tous les collaborateurs. On distribue les espaces les plus nobles à tous afin d’offrir des conditions agréables dans ce cadre professionnel.
Comment avez-vous travaillé cette ambiance méridionale ?
L’immeuble possède des terrasses, un toit végétalisé. Nous avons utilisé ces atouts pour intégrer les ambiances sudistes avec du mobilier extérieur dépareillé, en cannage, des pots en terre cuite. À l’intérieur, le côté méridional a été traité dans des matières naturelles comme le bois clair, des voilages en lin, le panneautage, et les couleurs de la Méditerranée, bleu azur, ocre, safran, vert, beige sable. Ce sont des éléments qui apportent des touches concrètes du Sud. Nous avons voulu transcrire un état d’esprit du sud de la France, et en aucun cas caricaturer un art de vivre. Il y a également la végétation : oliviers, citronniers et orangers, plants de lavande, des ruches sur le toit végétalisé qui participent de cette atmosphère méditerranéenne.
Quelles ont été vos difficultés et vos solutions pour les résoudre ?
Nous avons opéré de manière très raisonnable en terme de budget. Ce n’est ni un projet luxueux, ni un projet dispendieux, malgré une impression de qualité, bien perçue selon les retours que nous en avons. L’autre complexité a été de gérer la diversité des 13 tisaneries et le dialogue avec les 13 directions différentes, 13 univers de marques à absorber, mais le défi a été relevé.
Interview publiée dans Architectures Cree, printemps 2021, numéro 396.
Textes : Alexandra Gilli