Yann Mignot, directeur de création associé retail de l’agence de design Saguez & Partners, en est convaincu : les clients ne reviendront pas en magasin juste pour voir les produits en vrai. Ils attendent surprises et émotion. Les magasins ne doivent plus être uniquement des lieux de vente, mais des lieux de relations. Interview par le Hub La Poste.
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À quoi ressemblera le magasin de demain ?
Le magasin de demain sera un magasin émotionnel. Après avoir massivement investi dans le e-commerce depuis le début de la pandémie, les marques se tournent de nouveau vers les magasins. D’un côté, les gens en ont assez d’être devant leur écran. Ils ont besoin de sortir et de revivre des expériences, des choses vraies, authentiques. Et de l’autre, les marques ont besoin de créer des lieux qui véhiculent leurs valeurs. Les boutiques doivent sortir d’une offre figée, d’une offre de destination, pour surprendre, faire ressentir, faire vivre une émotion avec la marque. Les clients ne reviendront pas en magasin juste pour voir les produits en vrai. La surprise, la découverte, c’est ce qui fait la différence avec le e-commerce. Sur Internet, vous faites part d’un besoin et le site vous propose ce que vous attendez. Mais en magasin, il y a un vrai plaisir de la découverte.
Vous pouvez donner un exemple de la façon de créer de l’émotion en magasin ?
Pour Pernod Ricard, nous venons de refaire le magasin Drinks&Co. Au départ, Drinks&Co est une marketplace en ligne du groupe qui vend des alcools du monde entier. À côté de son nouveau siège, près de Saint-Lazare à Paris, Pernod Ricard voulait un lieu de contact avec le consommateur pour avoir des retours d’expérience, des retours sur les produits…, mais aussi pour proposer un lieu qui fasse voyager. Drinks&Co est donc devenu à la fois un magasin, un restaurant, une cave d’Ali Baba, un endroit qui propose deux grands bars de plus de 15 mètres, des cours, des afterworks… Pour amener de l’émotion, nous avons imaginé un geste fort : nous avons installé sous le plafond une canopée surdimensionnée. Mais l’émotion ne vient pas uniquement de là : elle vient aussi du contact humain. Nous avons mis au cœur du concept les bartenders. Ils sont les acteurs qui vont faire goûter les boissons et vivre une expérience.
Le retail design de ce magasin incite aussi les clients à le prendre en photo pour une diffusion sur les réseaux sociaux…
Chez Drinks&Co, les clients photographient et partagent la canopée, les cocktails signature, le bartender qui les prépare, leur expérience dans les masterclass… Le magasin doit aussi être un support qui permet aux clients de parler de la marque. Pour faire un parallèle avec l’univers du « Food », quand un pâtissier sort une nouvelle création, il la met sur les réseaux sociaux. Les clients viennent la goûter, mais d’abord ils la prennent eux aussi en photo et la partagent. C’est un cercle vertueux qui se crée. Il faut réussir à reproduire ce phénomène sur chaque marque.
En consacrant moins de place à la vente, le magasin n’est-il pas confronté à des problèmes de rentabilité du mètre carré ?
On ne peut plus raisonner uniquement sur la seule base de la rentabilité au m2. Cela pousse à faire des magasins avec énormément de linéaires, très bien rangés, identiques les uns aux autres, avec énormément de produits en espérant que le client en achète le plus possible. Le plus gros risque est que tous les magasins se ressemblent. Déjà, les commandes en ligne sont semblables d’un site à l’autre. Si en plus les magasins sont tous les mêmes ! Il faut un design de la différence. Cela signifie raisonner à la fois en m2 de vente et en m2 relationnels. Les m2 relationnels sont ceux qui créent l’expérience, l’émotion, la surprise, et qui fidélisent la clientèle. C’est ce qui fait que la clientèle reviendra dans le lieu, et qu’elle achètera aussi par la suite sur Internet car elle se rappellera son expérience en magasin.
Peut-on mesurer la rentabilité de ces m2 relationnels ?
Elle peut se mesurer en fonction des ventes additionnelles générées sur Internet ou en s’intéressant à la satisfaction de la clientèle en magasin. Quand nous sommes intervenus pour le magasin de Boulanger au centre de Paris, à Opéra, les vendeurs sont devenus des conseillers. Concrètement, ils ne sont plus intéressés au chiffre d’affaires qu’ils réalisent dans le magasin. Leurs primes sont indexés sur le taux de satisfaction client. Les conseillers peuvent ainsi plus facilement proposer un réfrigérateur ou un four moins cher que celui que le client envisageait mais répondant mieux à ses besoins. Cela fidélise le client. Il reviendra pour ses prochains achats car il est en confiance et il fera aussi de la publicité pour le magasin, auprès de ses proches et sur Internet.
Quelle serait l’étape suivante dans l’évolution des magasins ?
Pour moi, le retail design de demain ne peut plus être immobile. Il faut pouvoir faire vivre et évoluer les magasins en fonction des attentes des consommateurs. Sous l’effet notamment des réseaux sociaux, la société évolue de plus en plus vite. Et souvent, les magasins actuels n’arrivent plus à suivre. Demain, il faudra avoir des magasins qui puissent bouger leurs plans sans tout casser. Cette notion de durabilité est importante. Notre rôle est de concevoir un design qui puisse évoluer en permanence sans devoir tout détruire et reconstruire.
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Journaliste : Frédéric Bergue
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