« Comment redonner envie aux gens d’aller en magasin ? » Grand témoin de la nouvelle édition de Shop! Le Salon début avril, Olivier Saguez publie une tribune sur l’avenir du commerce physique, et plus largement sur ce qui fait le sel de nos vies.
Si Dieu avait confié la conception de la Terre, oui le magasin La Terre, à McKinsey et à Nielsen…
On n’aurait pas les saisons, encore moins les demi-saisons, les 9 700 espèces d’oiseaux, les roses trémières, les roses grimpantes, les roses retombantes, les roses de mai, de juin, de juillet ou encore en fin d’été avec leurs parfums si troublants, on n’aurait pas les 46 bleus des mers en Grèce et les 28 lagons bleus du Pacifique, la mer serait droite, pas de criques ou de baies car trop de places perdues, les 780 nuances de vert de la forêt n’existeraient pas, les rochers seraient ronds ou ovales, puis quelle idée stupide de faire des coups de tonnerre et des arcs-en-ciel ensuite, des tremblements de terre, des ressacs, des tsunamis, des rivières qui sortent du lit, mais aussi des froids de canard, des brises du petit matin, des fleuves sinueux, c’est trop, ça sert à quoi, on pourrait même simplifier l’offre des collines, des coteaux, des pics, des falaises, des pitons, des montagnes, des volcans, les 2 600 sortes de palmiers, le sapin vert toute l’année ok, mais pas le mélèze orange qui perd ses aiguilles en automne, ces gazouillis, ces roucoulements, ces hululements, ces canards siffleurs, ces pinsons des arbres, et puis la girafe, c’est bien, mais il faut rationaliser son cou, le pelage des félins peuvent l’être aussi, deux motifs et un seul lieu de production sont suffisants, et ce muguet qui cloche, si fragile qui fleurit qu’en mai alors la « reco » serait de faire qu’une seule cloche mais trois fois plus grosse pour fleurir toute l’année…
Si Dieu avait confié la conception de la Terre à McKinsey et à Nielsen, il n’y aurait plus de surprises, d’étonnements, de poésies, de petites émotions, de grandes sensations, d’impulsions évidemment, et même de bouche-à-oreille.
Mais Dieu a été sage, il a eu la présence d’esprit dans son appel d’offre d’éliminer les rationnels, les cartésiens, les sondeurs. Il a pris un designer, un intuitif, un imaginatif, un sensible, un bâtisseur. Et puis, il a eu son coup de génie quand Apollon et Hermès lui ont demandé des comptes. Il a eu l’audace de leur dire « ce n’est pas ce que cela va coûter, mais tout ce que cela va nous rapporter. Écoutez bien mes actionnaires, vous aussi Poséidon, Artémis et Athéna : les Hommes seront heureux ! Oui, heureux. » On les fidélisera, ils resteront dans notre magasin La Terre. Ils iront moins sur leurs vilaines petites machines à écran, si pratiques pour le quotidien mais tellement tue-l’amour. Puis, les Hommes heureux, on arrivera même à les faire venir dans notre succursale, Le Paradis. Oui, notre deuxième magasin !
Un taux de transformation de dingue… Pardonnez mes excès de langage, mais je jubile. On va vraiment les fidéliser. Chez nous. Imaginez tout ce que cela va nous rapporter. Donc vous comprenez pourquoi il faut bien les accueillir, les réveiller, les surprendre, les étonner, et n’oubliez surtout pas : il faut les aimer.
Olivier Saguez