« Hosping », contraction de shopping et hospitalité. Ce néologisme a été inventé par l’agence Saguez & Partners pour désigner les nouvelles missions de la distribution physique si elle ne veut pas se faire balayer par les nouveaux venus du digital.
« Chez Jean », l’enseigne de proximité imaginée pour les gares par Casino et Lagardère avec offre de snacking à déguster sur place, kiosque à journaux et jeux de grattage… n’a pas rencontré le succès escompté. Lancée en 2013, « l’idée inspirée des « dépanneurs » canadiens est arrivée trop tôt chez nous » , constate Cécile Poujade, associée, directrice du retail & international chez Saguez & Partners, l’agence spécialiste du design de marque et conseil stratégique pour le tertiaire. Trois ans après, « Mandarine », le concept de néo-épicerie de Franprix, l’enseigne de centre-ville de Casino, conçu sur le même principe, a permis de faire s’envoler les ventes en moyenne de 20 % l’année qui a suivi sa mise en place. Dans la distribution aussi, tout est affaire de timing !
Vie de quartier
Franprix (900 points de vente dans la capitale) a la chance de viser une clientèle urbaine et ouverte aux tendances qui cartonnent dans l’alimentaire auprès des Millennials et des CSP+, le bio, le sans additifs ni conservateur, le vrac… « Les marques émergentes, start-up et petits faiseurs représentent désormais 15 % de l’assortiment de nos magasins », explique le directeur général Jean-Paul Mochet. Mais le plus important à ses yeux réside dans la transformation de ces magasins « e n lieux accueillants et propices à la vie de quartier » , dit-il.
L’objectif numéro un qu’il fixe à l’enseigne reste de « devenir la cuisine du Parisien ». Pour y arriver, Franprix a multiplié les offres de snacking, bar à salade, kiosque à plats chauds à déguster sur place ou à partager en famille le soir (en partenariat avec Rachel’s Cake). Mais, tout aussi important à ses yeux, les nouveaux services de proximité de nature à créer du lien. Livraison à domicile en 30 minutes, garde de clefs (avec Keycafé), relais-poste, point de collecte de colis (déjà dans plus de 300 magasins), transfert d’argent (avec Western Union), mise à disposition de pompes à vélos, cendriers pour les fumeurs et gamelles d’eau pour les chiens du quartier… « Tout ce qui ne se vend pas mais qui fait sens et facilite les relations entre les gens », résume le patron de Franprix.
Changer de métier
Chez Saguez & Partners, on parle de « hosping » (contraction de shopping et d’hospitalité) pour qualifier cette révolution. Passer de l’ère du transactionnel pur (l’acte d’achat) au relationnel (tout ce qu’on met en plus, l’accueil, le service, la considération). « Avec Internet, tout le monde peut acheter et vendre de tout à tout moment. Cela bouleverse les attentes vis-à-vis des magasins en dur. Quand on se déplace, c’est pour essayer les produits et se faire conseiller. Au lieu d’en faire des temples à leur propre gloire, les marques doivent transformer leurs boutiques en lieux de préservation du lien avec leurs clients », affirme Cécile Poujade, qui n’hésite pas à dire que « les distributeurs doivent comprendre qu’ils ont changé de métier ».
Les chiffres sont là pour leur rappeler. Internet représente, tous secteurs confondus, 10 % des achats en France. Depuis 2010, la consommation en général fait, au mieux, du sur place et les observateurs parlent d’un phénomène de déconsommation dans les grandes surfaces. Cela n’empêche pas les chaînes de continuer à ajouter des mètres carrés : +2 % l’an dernier encore, selon Tiendeo, le site qui centralise les catalogues et les offres de la grande distribution.
Mais d’autres exemples que Franprix sont là pour montrer que la mutation est engagée. La Fondation Nature & Découverte est devenue en une dizaine d’années le premier organisateur de sorties et d’excursions pour ses clients. Pascal Beillevaire, le spécialiste des fromages (60 points de vente en France), organise des soirées découverte de ses spécialités dans les bureaux, cabinets d’avocats ou garages situés aux alentours de ses magasins. « L’important est de créer du lien et de susciter la surprise », fait-il valoir.
Déchaîner les chaînes
« Déchaîner les chaînes » pourrait aussi rendre plus attractive et désirable l’offre des magasins devenue trop uniforme depuis l’essor fulgurant des grandes franchises. Même McDonald’s l’a compris, qui charge des designers connus de relooker ses restaurants . A New York et Milan, Starbucks a installé des « roasteries » qui montrent aux clients la torréfaction du café. La chaîne de bio Wholefood (rachetée par Amazon) « déstandardise » son offre en ouvrant ses rayons aux petits producteurs du coin. « On pourrait très bien imaginer que les hypers français aident des marques locales à se lancer ou accueillent des spécialistes réputés de leurs quartiers » , pense tout haut Cécile Poujade.
Article publié dans Les Échos
Journaliste : Valérie Leboucq